Après le Chinatown du quartier Italie et de Belleville, les grossistes venus d’Asie
prospèrent dans le XIe arrondissement. Depuis trente ans, Paris voit affluer une immigration
dont la réussite étonne et inquiète. Car l’économie souterraine, l’exploitation des clandestins, la
violence même, y sont difficiles à contrôler.
Entre les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir, 105 magasins asiatiques de vente en gros ou
demi-gros de prêt-à-porter occupent la quasi-totalité des locaux commerciaux disponibles au
rez-de-chaussée. Rue Popincourt, on peut dénombrer 68 magasins sur 300 mètres. Des
boutiques au nom kitsch : Lady Charme, Splendid, Bel Woman présentent, chaque semaine ou
presque, de nouvelles collections de vêtements que l’on vient d’acheter de l’Europe entière à des
prix défiant toute concurrence. Aucun grossiste chinois n’exerçait dans le quartier il y a quinze
ans. Ils sont désormais plus de 500 et leur nombre a augmenté de 28% ces dernières années.
Comment expliquer une telle croissance ? Car, après le « vieux » Chinatown parisien du XIIIe
arrondissement, né dans les années 1980, celui de Belleville dix ans plus tard, c’est un nouveau
quartier de la capitale qui semble être passé sous le contrôle économique des immigrés d’origine
chinoise.
Ils sont aujourd’hui près de 600 000 en France, affirme Pierre Picquart, spécialiste du
monde asiatique et auteur de l’ « Empire chinois ». La France est une destination historiquement
privilégiée par les Chinois depuis la Première Guerre mondiale. La moitié de ces émigrés se
concentrent dans la région parisienne. D’après Pierre Picquart la France comptera en 2008, 1
million de personnes d’origine chinoise. Chaque année, 40 000 à 60 000 clandestins chinois
essayent d’entrer dans notre pays. Une cinquantaine y arriveraient tous les jours.
Dong Liwen est l’un de ceux-là. A 27 ans, il est devenu l’un des porte-parole de sans-papiers qui
demandent leur régularisation. Pour le faire venir en France sa famille a payé 10 000 dollars en
1999 à une organisation de passeurs appelée des têtes de serpent. Il est arrivé en Grèce par
avion, puis en train jusqu’à Milan et enfin, à Paris » Là, son espoir de vie meilleure, au pays des
droits de l’homme, est rapidement déçu. Pendant une année entière, il travaille dans un atelier
de confection. Quatorze heures par jour pour 500 euros par mois. « Et encore, il y a pire,
certains sont payés ͳ euro de l’heure » affirme Dong Liwen. De cette vie Dong Liwen garde un
goût amer : »Tu ne peux pas sortir, rien acheter, tu ne sais même pas où tu es, beaucoup d’entre
nous ne connaissent d’ailleurs rien de Paris, sauf le nom des stations de métro... » Le cas du jeune
homme n’est pas isolé...
Les clandestins chinois travaillent comme des bêtes de somme pour rembourser, en
trois ou cinq ans, l’argent qui a été avancé pour leur passage. Car ne pas honorer sa dette, c’est
exposer sa famille restée en Chine à de violentes représailles. C’est aussi la peur de « perdre la
face »... Tenu par les mafias qui organisent l’immigration, le clandestin n’a d’autre choix que celui
du travail au noir, pour lequel il est surexploité. Puis, sa dette remboursée, l’immigrant achète sa
propre affaire. Pour le faire, il profite d’ un système de prêt interne à la communauté. Il va le
faire avec d’autant plus d’énergie que pour un Chinois, la réussite est avant tout économique. Il
emploie à son tour des employés non déclarés issus de l’émigration, le plus souvent les
membres de sa famille, qui le rejoindront en France après s’être endettés à leur tour. Le courant
migratoire est ainsi alimenté par de nouveaux candidats. Un proverbe chinois ne dit-il pas : « Qui
veut créer une entreprise fonde d’abord une famille » ?
Soutenue par cette économie souterraine, la communauté chinoise de France bénéficie,
en outre, d’un réseau commercial énorme : la diaspora chinoise. Présente sur tous les continents,
elle lui facilite les opérations commerciales au long cours. Et cela d’autant plus que la confiance
nécessaire au bon fonctionnement des affaires est fondée sur des liens familiaux ou claniques.
Si la réussite économique est à ce prix, force de constater que ce sont les Chinois eux-mêmes qui
en souffrent le plus. Dans un rapport accablant sur « Les migrants chinois et le travail forcé en
Europe » Gao Yun, une juriste chinoise constate que les « clandestins pauvres sont les premières 3
victimes du business éthnique chinois dont la compétivité repose sur la surexploitation des êtres
humains » Ces « travailleurs invisibles » travaillent surtout dans la confection, la maroquinerie,
le bâtiment, parce que le marché de la restaurtion est déjà saturé.
On les retrouve dans les métiers « 3 D » : dangereux, difficiles et dégradants. Et leurs employeurs
savent garder les apparences de la légalité.