Les bunkers suisses n'ont jamais eu à protéger les soldats suisses d'un quelconque
envahisseur et, aujourd'hui, désaffectés, ils inspirent surtout artistes et photographes. Peu après
la Première Guerre mondiale, les Suisses multiplient obstacles antichars, fortins et bunkers et
passent maîtres dans l'art du camouflage. Visibles ou complètement indécelables, ces
constructions font partie du paysage suisse tout autant que les montagnes. On estime leur
nombre à quelque 13 000. Depuis 2003, avec la disparition des "troupes de forteresse", ces
ouvrages sont désaffectés. Certains ont été vendus à des communes ou à des investisseurs. Des
entreprises ont même transformé un bunker en dépôt de haute sécurité pour des biens privés.
Une forteresse du canton de Lucerne avait par ailleurs déjà été transformée en hôtel.
Enfants, Frank et Patrik Riklin, 36 ans, vouaient un culte à la série télé MacGyver, un héros
capable, en toutes circonstances, avec quelques bouts de ficelle - et souvent un couteau suisse ! - de dégoter une astuce salvatrice. Un système D qui marquera le travail de ces deux artistes
fondateurs de l'Atelier für Sonderaufgaben (Atelier de projets spéciaux), à Saint-Gall [nord-est
de la Suisse].
Et, l'an dernier, ces jumeaux ont testé leurs talents dans le petit village de Sevelen, dans
le district de Rheintal. "Mais il nous fallait trouver un autre lieu", expliquent-ils. Or il se trouve
que le pays est truffé de bunkers, dont la vocation première a légalement été annulée en 2004.
C'est donc à Teufen, une bourgade de 5 800 habitants en Appenzell Rhodes-Extérieures, que leur
première œuvre a été inaugurée, à savoir la reconversion d'un abri antiatomique en un hôtel
Null Stern (zéro étoile). Attention, préviennent d'emblée les artistes, ceci n'est pas un vrai hôtel.
Certes, le bunker est meublé (14 lits de récup'), dispose de deux douches et propose des tarifs
imbattables : de 10 à 30 francs [de 6,60 euros à 19,80 euros] selon la catégorie : dortoir, first
class ou luxe, sic !
L'essentiel se cache ailleurs et se voit résumer par le slogan imprimé sur les tee-shirts
vendus par les artistes : "The only star is you" ("La seule étoile, c'est vous"). "Le Null Stern est une
installation artistique qui a pour mission de réunir des gens provenant d'horizons très divers,
énonce Frank Riklin. Ce qui représente, à nos yeux, une autre forme de luxe. Car rien n'est devenu
plus impersonnel qu'un hôtel cinq étoiles aujourd'hui. Certes, on y dispose d'un confort incroyable,
mais personne ne se parle ni ne se rencontre vraiment."
Le dialogue, les deux frères, issus d'une famille très connue de Saint-Gall, le provoquent
par des moyens à la fois simples, pas chers et astucieux. Ainsi, dans l'espace dit "lounge" trône
une roue de vélo fixée sur un tableau noir."Cette roue de la fortune permet aux hôtes de se
rassembler, d'écrire leur nom avec une craie et en la tournant chacun peut, par exemple, se voir
attribuer une heure de passage pour prendre sa douche, explique Patrik Riklin. En une heure, ce
jeu permet de faire connaissance, en ramenant les gens à leur dimension d'enfants. Mais c'est aussi
un moyen démocratique de désamorcer un problème potentiel."
Et la formule semble fonctionner. La veille, quatorze hôtes passaient une nuit dans le bunker
coloré de Teufen. Parmi eux, une hôtesse de l'air, deux étudiantes berlinoises, un père et son fils,
une sage-femme, des retraités, un entrepreneur d'origine indienne, un journaliste romand...
Tous affirment avoir vécu une expérience hors norme.
Enfin, comme rien ne se perd dans le monde des Riklin, cette antithèse du luxe, qui
semble bienvenue en ces temps de folie financière et de crise économique, est déjà... récupérée.
Avant même l'ouverture [en octobre 2008], le projet a suscité l'intérêt de nombreux médias
internationaux, de CNN en passant par le Herald Tribune.
En tombant sur un reportage, Daniel Charbonnier a comme une révélation. Et voilà que ce jeune
Vaudois, qui dirige une société de conseil en hôtellerie, a cherché des financements afin de
transformer ce concept en entreprise commerciale planétaire. La nouvelle chaîne, anglicisée
sous le nom de Zero Star Hotel, s'intégrera dans des lieux inédits, tels d'anciens pensionnats de
jeunes filles ou des casernes. Et sera, assure-t-il, une bombe dans la branche hôtelière.