Matteo Messina Denaro, 52 ans avec ses Ray-Ban fumées et ses costumes Versace ajustés,
avait, sur les dernières photos qu'on a de lui, une allure de patron de discothèque de série télé.
Mais, le numéro un de Cosa Nostra, a beau aimer rouler en Porsche, porter des Rolex en or et
draguer les filles, il est le dernier parrain de Sicile, un trafiquant international de drogue et
surtout un assassin que la revue "Forbes" a classé parmi les dix fugitifs les plus recherchés du
monde.
"Avec les personnes que j'ai tuées, je pourrais remplir un cimetière", s'est vanté un jour
celui dont on dit qu'il a commis cinquante meurtres avant l'âge de 30 ans. L'homme a assassiné
de sang-froid ses rivaux, exécuté des journalistes, éliminé des policiers qui se mettaient en
travers de son chemin. Sa participation aux attentats de Rome, Milan et Florence, qui avaient fait
dix morts en 1993, lui vaudra une condamnation à la prison à la perpétuité. Par contumace, car,
peu après ce coup d'éclat, le dernier parrain de Cosa Nostra disparaît dans la nature. Depuis, les
deux cents hommes de la brigade antimafia sont aux trousses de "Matteo", surnommé "Diabolik".
Tous les proches de ce descendant d'une famille de ces gardiens de latifundia qui ont formé
le noyau dur de la mafia, sont déjà sous les verrous : sa sœur chérie, son frère, son beau-frère, et
enfin Giuseppe Grigoli, son prête-nom, son ambassadeur au cœur de l'économie légale.
Cette dernière arrestation a été la plus dure à encaisser : elle lui a bloqué l'accès à l'un de
ses portefeuilles personnels, Grigoli gérant en son nom les 46 points de vente des supermarchés
Despar dans la province de Trapani. De plus la Cour de Cassation a confirmé depuis peu la
condamnation de cet homme à douze ans de réclusion pour "association mafieuse", en lui
confisquant ses 700 millions d'euros. Privé de sa caisse noire, "Matteo" se sent désormais traqué.
L'exilé se cache sans doute dans les recoins de son royaume. Cette province de Trapani,
bénie des dieux, sa mer bleu profond, ses maisons basses, ses oliviers et ses vignes. Les policiers
à ses trousses sont convaincus qu'il se terre là, sur son territoire, dans cette province de 2 459
kilomètres carrés et ses latifundia pratiquement impénétrables. Des caches idéales, où "le
moindre étranger est aussitôt repéré comme un flic et la moindre voiture inhabituelle comme un
ennemi ".
Le 26 avril 2013, jour de l'anniversaire de son père, sa fille, Lorenza, 19 ans, écrit,
mélancolique, sur sa page Facebook combien elle voudrait : "Avoir l'affection d'une personne,
mais cette personne n'est pas présente à ses côtés et ne le sera jamais à cause du destin". Elle
comprend qu'elle ne peut le joindre sous aucun prétexte, ni par internet ni au téléphone, parce
que les flics ont tous les moyens d'intercepter ses communications. Elle a peur pour lui et pour
elle-même, craint de ne jamais le revoir libre et vivant.
"Où es-tu Matteo ?" C'est l'obsession de Fabrizio Giacalone, ce policier qui le pourchasse
depuis une décennie. « Je sais qu'on l'aura, même s'il doit se balader en douce d'une villa
superconfortable à une autre, et même s'il fait de longs séjours à l'étranger", se rassure le
superflic. Chaque jour, pour obtenir une réponse à sa question, il scrute les écrans qui tapissent
les murs du siège de la brigade mobile de Trapani. Là, au troisième étage d'un immeuble vétuste,
se trouve une incroyable salle des machines. Outre la débauche d'écrans, des instruments
bizarres émettent des signaux intermittents, sur lesquels six hommes en jean et tee-shirt, qui
ressemblent à des étudiants, ont l'œil rivé. Ces policiers ont placé leurs mouchards aux endroits
les plus incongrus (sur une branche d'olivier, dans la maison d'une petite amie de "Matteo" ou
dans le stimulateur cardiaque d'un suspect). Ils épient en permanence une soixantaine de
personnes qui forment le cercle rapproché du boss. Mais que le boss a jusqu'ici évité de
rencontrer.
Le 11 avril 2006, l'antimafia s'est crue à deux doigts de résoudre la question qui obsède la
Sicile. Ce jour-là, la brigade arrête le chef en titre de la mafia, Bernardo Provenzano. Dans sa
cache, on découvre une collection de messages secrets. Ces billets, écrits en majuscules sur du
papier très fin, pliés et repliés, forment une espèce de cigarette qui laisse seulement apparaître
le pseudo du destinataire : ce sont les fameux pizzini. Une véritable correspondance où figurent
des noms et surnoms qui constituent une mine d'informations. Dans les messages de Matteo,
celui-ci parle beaucoup d'un certain "Vac". C'est un ancien professeur de pédagogie, ex-maire de
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Castelvetrano, condamné à six ans de prison pour trafic de stupéfiants, dont le nom complet est
Antonio Vaccarino...Figure énigmatique et fascinante. Contacté par l'antimafia, il finira par
devenir la taupe de la police.